Figure mythique du folklore anglais, Robin des Bois est l’archétype du bandit au grand cœur, détroussant les riches pour nourrir les pauvres. Une belle histoire, certes… Mais toute fiction ne cache-t-elle pas un fond de vérité? Enquête sur les traces de l’archer vert.
Certains personnages ont potentiellement marqué l’Histoire sans y avoir mis les pieds. A l’instar du Roi Arthur, dont l’existence est toujours âprement disputée par les historiens, Robin des Bois hérite d’origines bien mystérieuses… A partir du XIVe siècle, sa légende est assurée par de nombreux récits qui le propulsent en quelques décennies au rang de héros médiéval. Mais ces contes auraient-ils puisé l’inspiration dans les faits divers de l’époque?
Il était une fois…
Pour le savoir, retraçons le cheminement « classique » des aventures de Robin, telles que narrées dans les contes du Moyen Âge. Pour faire court, il s’agit d’un personnage de noble lignée (apparenté au roi Richard Cœur de Lion) qui prend le maquis pour libérer la campagne anglaise de ses tyrans. Avec, pour toile de fond, le temps des Croisades, appelant chevaliers et conscrits anglais en Terre Sainte, et laissant libre cours aux exactions des seigneurs locaux.
Nous avons donc un point de départ historique: les Croisades. Celle que commande Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, est la troisième du nom. Vers la fin du XIIe siècle, le belliqueux monarque quitte le pays pour la Terre Sainte. Il a vidé les caisses du royaume pour lever une armée digne de ce nom : «j’aurais vendu Londres si j’avais pu trouver un acquéreur» aurait-il avoué sans l’ombre d’un remords…
Arrivé aux portes de Jérusalem, Richard se mesure à son homologue musulman Saladin dans un véritable combat de titans, mais ne parvient pas à reprendre la Ville Sainte. En 1192, à bout de forces, le roi prend le chemin du retour mais les ennuis s’enchaînent : intempéries, naufrage de son navire, puis capture par Léopold d’Autriche et finalement une rançon difficile à rassembler (150 000 marks, une véritable fortune pour l’époque) retarderont son retour de trois longues années. Pendant ce temps, Jean Sans Terre, frère de Richard, a pris sa place sur le trône…
Une datation difficile
C’est ici qu’est faite la première entorse au mythe de Robin des Bois : si l’intrigue du conte est souvent placée dans l’Angleterre de Richard Ier (fin du XIIe siècle), l’archer vert n’apparaît dans les écrits que deux cents ans plus tard, à partir du XIVe siècle. De plus, il est représenté manipulant le fameux arc longbow, arme redoutable de l’archerie anglaise qui fera des ravages à Crécy (1346) et à Azincourt (1415). Peut-être qu’il lui a fallu du temps pour mûrir dans les récits des baladins et devenir légende ?
En tout cas, l’une des premières mentions littéraires de Robin des Bois (qui n’exclut pas des occurrences antérieures, la tradition du conte étant essentiellement orale) apparaît dans Piers Plowman (en français, Pierre le Laboureur), œuvre titanesque du poète anglais William Langland rédigée entre 1360 et 1387. « Je connais beaucoup de ballades sur Robin des Bois, mais je ne connais pas un seul vers sur Notre Seigneur ou Notre Dame » déclare l’un des personnages. Ce texte est une défense sans équivoque de la classe paysanne, et Robin y est consacré héros des pauvres et des démunis.
Le XIVe siècle est en effet une période peu enviable pour les milliers de serfs qui sillonnent l’Angleterre rurale. Décimés par la Peste Noire, écrasés d’impôts (la Guerre de Cent Ans fait rage et il faut entretenir l’armée), ils tentent de se soulever à l’image des paysans français derrière la «Grande Jacquerie» de 1358. Les récoltes sont mauvaises, la criminalité explose. Un terreau particulièrement fertile à l’émergence d’un bandit au grand cœur…
Plusieurs cordes pour un seul arc
Depuis les travaux précurseurs des historiens britanniques du XIXe siècle, de nombreux candidats ont été appelés à remplir le profil de Robin des Bois. On ne compte plus le nombre de « Robin Hood » ou plus simplement « Robynhood » mentionnés dans les tablettes de la justice anglaise et ce, dès le XIIIe siècle! D’autant que «Robin» était le diminutif de Robert, un prénom particulièrement courant à l’époque.
L’un d’entre eux est cité dans les archives du manoir de Wakefield, dans le Yorkshire. Il s’agirait d’un petit propriétaire terrien qui s’associa à Thomas de Lancaster, cousin du roi impopulaire Édouard II, pour se soulever contre l’autorité royale. La révolte écrasée, le petit groupe aurait fini par vivre reclus en menant une vie de brigandage dans les forêts de Barnsdale ou de Sherwood. (Barnsdale était à l’époque un point de passage stratégique pour rallier le nord de l’Angleterre ou l’Écosse : commode pour détrousser les garnisons royales.)
D’autres Robin Hood sont identifiés dans les archives judiciaires du royaume entre le XIIIe et le XIVe siècles : un fugitif du Yorkshire, dont les biens ont été confisqués en 1226 ; un prisonnier qui serait entré par effraction sur les terres royales de Rockingham au milieu du XIVe siècle ; un certain « Robyn Hode », criminel repenti devenu domestique d’Édouard II… La profusion est telle que les historiens en sont venus à se demander si « Robin Hood » n’était tout simplement pas l’alias des hors-la-loi. Pratique : une identité à se partager pour tous les bandits de l’arrière-pays anglais !
Robin Hood, conte social ?
Comment démêler le conte de la réalité? Impossible d’identifier «historiquement» un Robin des Bois qui correspondrait précisément à la description des poètes et des baladins; son histoire a été romancée par plusieurs siècles de réécritures successives. Cependant, plusieurs éléments du récit font écho à la réalité historique. Le contexte social et politique, qui voit la population accablée par le servage, les impôts colossaux et la maladie, correspond à l’Angleterre du XIVe siècle et dans une moindre mesure à celle du XIIe siècle.
Les personnages, extrêmement stéréotypés, sont des allégories : ainsi le Prince Jean, fourbe et avide, représente la cécité ou l’indifférence du pouvoir (à l’image de Jean Sans Terre). Frère Tuck, moine bon et profondément pieux, rappelle l’Église à ses fondements à une époque où les abus ecclésiastiques sont de plus en plus contestés (et qui déboucheront sur la Réforme Protestante du XVIe siècle). Enfin Robin symbolise l’idéal d’une vie libre au cœur de la nature, en marge de la société décadente et corrompue.
En ce sens, Robin des Bois n’est ni un personnage de fiction, ni un héros historique – c’est l’instrument d’une vengeance, celle de la campagne anglaise et de ses petites mains sur un pouvoir royal arbitraire et oppressif. Le conte a prospéré car il était porteur d’espoir : celui d’un jour pourfendre les injustices qui gangrénaient la société médiévale. A partir du XVe siècle, le servage en Angleterre n’est plus qu’un lointain souvenir, les impôts diminuent et les villes prospèrent. Comme à son habitude, l’archer vert a mis dans le mille.
Bibliographie
- Laurent Vissière, «La véritable histoire de Robin des Bois», Historia n°125 (mai-juin 2010).
- May McKisack, The Fourteenth Century 1307-1399 (1959), Oxford University Press.
- Stephen Knight, Robin Hood: A Mythic Biography (2003), Cornell University Press.
- Frédérique Lachaud, Jean Sans Terre (2018), Perrin.
- William E. Simeone, “The Historic Robin Hood”, The Journal of American Folklore, vol. 66, no. 262, 1953, pp. 303–308. JSTOR.
- Valentine Harris, “Who Was Robin Hood?”, Folklore, Vol. 67, No. 2 (Jun., 1956), pp. 103-105. JSTOR.
- Joseph Falaky Nagy, “The Paradoxes of Robin Hood”, Folklore, Vol. 91, No. 2 (1980), pp. 198-210. JSTOR.